IX
Chasse Aux Sorciers

 

Hezekiah Study n’arrivait pas à se concentrer sur le livre qu’il voulait lire ni sur le sermon qu’il lui fallait écrire, ni même sur la poire qu’il savait devoir manger. Quelqu’un en avait déjà prélevé plusieurs bouchées, et il se doutait que c’était lui, forcément, mais il ne se rappelait rien d’autre que les idées noires et décousues qui lui passaient par la tête. Purity, petite folle. Il va venir maintenant, tu ne vois donc pas ? Il va venir, parce qu’il vient toujours et que ton nom est cité, parce qu’il sait qui tu es, oh oui, il te connaît, il veut ta vie, il veut terminer le travail qu’il a commencé avant ta naissance.

C’est ainsi qu’il passa l’après-midi, jusqu’à ce que le vent finisse par se lever, agitant les feuilles coincées sous le presse-papiers de son bureau. Le vent, l’ombre d’un nuage qui réduisit la clarté de la pièce, puis le bruit qu’il attendait : le clop-clop d’un cheval tractant un petit cabriolet Micah Quill. Micah le Sorceleur.

Hezekiah se leva et s’approcha de la fenêtre. Le cabriolet ne faisait que passer dans la rue en dessous ; Hezekiah aperçut fugitivement un visage de profil, vu d’en haut. Un visage doux, franc, qui inspirait confiance – Hezekiah s’y était fié un jour, avait cru les mots qui sortaient de la bouche au sourire timide. Dieu ne permettra pas à l’innocent d’être puni, avait dit cette bouche. Seul le Sauveur était prédestiné à souffrir en innocent. » Le premier de mille mensonges. Micah Quill recevait la vérité, l’aspirait et la faisait disparaître avant de la restituer apparemment sous la même forme, mais subtilement modifiée, sur les bords, là où personne ne le remarquait, si bien qu’une vérité pure et simple devenait un tissu embrouillé qui vous enveloppait étroitement et vous privait d’air jusqu’à vous étouffer.

Micah Quill, mon meilleur élève. Il ne vient pas à Cambridge rendre visite à son vieux professeur, ni écouter les sermons qu’il prononce maintenant le dimanche.

Penché à sa fenêtre, Hezekiah vit le cabriolet s’arrêter à l’entrée principale de l’orphelinat. Du Micah tout craché. Il ne s’arrête pas pour prendre un rafraîchissement au terme de son voyage, ni même pour soulager sa vessie, mais s’attelle sans délai à sa tâche. Purity, je ne peux plus t’aider à présent. Tu n’as pas tenu compte de mes avertissements.

 

*

 

Purity entra, soulagée de reconnaître dans le sorceleur, non pas un être effrayant ni un ange destructeur, mais un homme sûrement âgé d’une quarantaine d’années qui avait cependant gardé la fraîcheur de la jeunesse. Il lui sourit, et elle se sentit aussitôt détendue et à l’aise. Rassurée aussi, car elle avait craint les remords que lui coûterait la décision de faire interroger et juger par un monstre quelqu’un d’aussi charmant qu’Alvin Smith. L’enquête serait honnête, le procès équitable, parce que cet homme ne voulait de mal à personne.

« Vous êtes Purity, dit le sorceleur. Je m’appelle Micah Quill.

— Enchantée, fit la jeune femme.

— Moi de même. Je suis accouru dès réception de votre déposition. J’admire votre courage : déposer aussi hardiment contre un sorcier si terrible.

— Il ne m’a fait aucune menace.

— Son existence même est une menace pour toutes les âmes pieuses. Vous l’avez senti, même s’il n’a proféré aucune menace, parce que l’esprit du Christ vous habite.

— Vous croyez, monsieur ? » demanda Purity.

Quill écrivait dans son carnet.

« Qu’écrivez-vous, monsieur ?

— Je note tous mes entretiens, répondit Quill. On ne sait jamais ce qui peut sortir d’une déposition. Ne faites pas attention à moi.

— C’est que… je n’avais pas encore commencé à déposer.

— Stupide de ma part n’est-ce pas ? Je vous en prie, asseyez-vous et racontez-moi tout sur ce suppôt de l’enfer adorateur du diable. »

Il parlait d’un ton si joyeux que Purity faillit ne pas remarquer le sens voilé de ses paroles. Lorsqu’elle se rendit compte de ce qu’il venait de dire, elle le corrigea aussitôt « Je ne sais pas ce qu’adore cet homme ni comment fit-elle. Seulement qu’il prétend avoir un talent magique.

— Mais vous voyez, mademoiselle Purity, de tels talents magiques sont accordés aux gens uniquement parce qu’ils servent le diable.

— Ce que je dis, c’est que je ne l’ai jamais vu adorer le diable ni en parler, ni manifester le moindre désir de le servir.

— En dehors de son talent, qui sert forcément le diable.

— Je n’ai jamais non plus vraiment vu le talent de mes yeux, dit Purity. J’ai seulement entendu le jeune garçon qui voyageait avec lui raconter des histoires à ce sujet.

— Le nom de ce garçon, fit Quill, la plume prête à noter.

— Arthur Stuart. »

Quill releva les yeux sur elle sans écrire.

« Son nom, c’est une plaisanterie, monsieur, mais la plaisanterie date de plusieurs années, quand on l’a ainsi nommé, je ne me moque pas de vous en ce moment. »

Il inscrivit le nom.

« C’est un petit métis, reprit-elle, et…

— Roussi aux feux de l’enfer, fit Quill.

— Non, je crois qu’il est tout bonnement le fils d’un Blanc propriétaire d’esclaves qui a abusé d’une jeune Noire, du moins c’est ce que laissait entendre ce qu’on m’a raconté. »

Quill sourit. « Mais pourquoi me résistez-vous ? fit-il. Vous me dites qu’il est à demi noir. À quoi je réponds : c’est signe qu’il a roussi aux feux de l’enfer. Alors vous vous récriez : non, pas du tout, et vous poursuivez en m’expliquant qu’il est le produit du viol d’une Noire par un Blanc. Comment mieux décrire une conception aussi épouvantable qu’en qualifiant l’enfant de roussi aux feux de l’enfer ? Vous comprenez ? »

Purity hocha la tête. « Je croyais que vous parliez littéralement.

— Mais oui, fit Quill.

— Je veux dire… qu’à votre avis l’enfant est véritablement allé en enfer et qu’il y a légèrement brûlé.

— C’est bien ce que je dis, fit Quill sans cesser de sourire. Je ne comprends pas cette insistance constante à me corriger alors que je suis déjà d’accord.

— Je ne vous corrige pas, monsieur.

— Mais cette dernière phrase n’est-elle pas elle-même une correction ? Ou dois-je la prendre autrement ? Je crains que vous ne soyez trop subtile pour moi, mademoiselle Purity. Vous m’éblouissez avec vos raisonnements. J’ai la tête qui tourne.

— Oh, je n’imagine pas qu’on puisse vous entortiller, dit Purity en riant nerveusement.

— Une fois de plus vous éprouvez le besoin de me corriger. Est-ce que quelque chose vous ennuie ? Y a-t-il une raison pour laquelle vous n’arrivez pas à vous entendre avec moi sans vous sentir gênée ?

— M’entendre avec vous ne me gêne pas du tout.

— Une affirmation qui part d’un bon sentiment mais qui sous-entend encore un désaccord avec ce que je viens de dire. Oublions cependant que vous êtes incapable d’accepter une seule de mes paroles au pied de la lettre. Ce que je ne comprends pas, ce que vous devez m’aider à éclaircir, c’est un problème à la fois de défaut et d’excès de renseignements. Par exemple, votre déposition mentionne plusieurs individus sans rapport avec l’affaire et que personne n’a vus. À savoir : un avocat du nom d’En-Vérité Cooper, un batelier du nom de Mike Fink et un petit métis du nom d’Arthur Stuart.

— Mais je ne suis pas la seule à les avoir vus, dit Purity.

— Alors la déposition est inexacte.

— Je n’ai jamais dit dans ma déposition que j’étais la seule à les avoir vus.

— Excellent ! Qui était encore présent à ce sabbat de sorciers ?

— Quel sabbat ? » Purity était maintenant désorientée.

« Vous avez bien dit que vous êtes tombée sur ce convent de sorciers alors qu’ils folâtraient nus au bord du fleuve ?

— Deux d’entre eux se baignaient, mais je n’ai rien vu de plus, ce n’est pas méchant.

— Alors, selon vous, quand des sorciers batifolent nus sous vos yeux, c’est un bain innocent ?

— Non, je… Je n’ai pas pensé que c’était… Ce n’était pas un culte d’aucune sorte.

— Mais jeter l’enfant vers le ciel – un enfant noir, pas moins –, et la façon dont l’homme nu s’est moqué de vous, nullement gêné par sa nudité…»

Purity n’avait parlé de cette scène à personne, n’avait rien écrit à ce sujet, elle en était sûre. « Comment êtes-vous au courant ?

— Alors vous admettez que vous n’avez pas mentionné cette preuve capitale dans votre déposition ?

— Je ne savais pas que c’était une preuve.

— Tout est preuve, dit Quill. Des êtres qui gambadent nus, qui se moquent de chrétiens puis disparaissent sans laisser de traces que vous faut-il de plus en matière de preuves ? Vous ne devez rien omettre.

— Je m’en rends compte à présent, dit Purity. Je crois que je ne savais pas à quoi ressemblait un sabbat de sorciers, alors je n’ai pas compris quand je l’ai vu.

— Mais si vous n’avez pas compris, pourquoi les dénoncer ? demanda Quill. Vous n’avez pas porté de fausses accusations, dites-moi ?

— Non, monsieur ! Chaque mot que j’ai dit est la vérité.

— Oh, et ceux que vous n’avez pas dits ? »

Purity était encore plus désorientée.

« Mais si je ne les ai pas dits, comment puis-je savoir quels sont ces mots ?

— Mais vous le savez. Nous venons à l’instant de les découvrir. Le fait qu’il s’agisse d’une bacchanale païenne durant laquelle un homme nu a molesté un enfant également nu sous vos yeux…

— Molesté ! Il l’a seulement jeté en l’air comme un père le ferait avec son fils, ou un frère aîné avec son cadet.

— Vous croyez donc qu’il pourrait en outre s’agir d’un inceste ? demanda Quill.

— Ma seule intention, c’était de rendre compte de ce qu’ils ont dit d’eux-mêmes, qu’Alvin Smith est le septième fils d’un septième fils, doté de tous les talents que ses pareils sont censés posséder.

— Vous croyez donc les paroles du diable sur cette question ? lança Quill.

— Les paroles de quel diable ?

— Celui qui vous a parlé et vous a raconté que les talents apparaissent chez les septièmes fils de septièmes fils, alors qu’en réalité seuls ceux qui se vouent au service de Satan peuvent pratiquer la sorcellerie.

— Je n’avais pas vu les choses ainsi, dit Purity. Je croyais que le délit, c’était l’utilisation de pouvoirs occultes, toute seule.

— Le mal n’est jamais tout seul, répliqua Quill. Souvenez-vous qu’au moment de témoigner vous prêterez serment, la main sur les Saintes Écritures, la parole de Dieu sous votre paume, ce qui revient à tenir le Christ par la main car il est la parole de Dieu. Vous jurerez de dire la vérité, toute la vérité. Il ne faudra donc pas essayer de dissimuler d’autres renseignements comme vous l’avez déjà fait.

— Mais je n’ai rien dissimulé ! J’ai répondu à toutes les questions !

— Il faut encore qu’elle contredise le serviteur de Dieu, même quand il énonce la vérité flagrante. Vous avez dissimulé des renseignements sur la pédérastie, sur le sabbat, sur l’inceste… et vous avez tenté de faire croire que les pouvoirs occultes de cet Alvin découlaient naturellement de son ordre d’arrivée dans la famille, quand bien même des pouvoirs aussi diaboliques ne peuvent être naturels, car la nature est née dans l’esprit de Dieu, tandis que les pouvoirs magiques viennent de l’Antéchrist Ignorez-vous que c’est un terrible péché de faire un faux témoignage ?

— Je le sais parfaitement, et j’ai dit la vérité telle que je l’ai perçue.

— Mais vous la percevez mieux maintenant non ? fit Quill. Alors, quand vous témoignerez, vous parlerez franchement n’est-ce pas, et décrirez les choses telles qu’elles étaient réellement ? Ou comptez-vous mentir afin de protéger vos amis sorciers ?

— Mes… mes amis sorciers ?

— N’avez-vous pas juré qu’il s’agissait de sorciers ? Revenez-vous sur vos déclarations ?

— Je nie que ce sont mes amis, non que ce sont des sorciers.

— Et votre déposition ? fit Quill. Vous donnez l’impression de faire marche arrière aussi vite que vous pouvez.

— Je maintiens chacun des mots que j’y ai mis.

— Et cependant vous prétendez que ces hommes ne sont pas vos amis ? Vous déclarez qu’ils vous ont suppliée de les suivre dans leur traversée démoniaque de la Nouvelle-Angleterre. L’auraient-ils demandé à une étrangère ?

— La preuve, puisque je leur étais étrangère et qu’ils me l’ont demandé.

— Attention, évitez ce ton provocant, fit Quill. Ce n’est pas ainsi que vous défendrez votre cause au tribunal.

— Suis-je donc au tribunal ? Ai-je une cause à défendre ?

— Vous en doutez ? Tout ce qui vous sépare de la potence, c’est cette déposition, votre premier effort timide de vous détourner du Malin. Mais vous devez comprendre que l’amour du Christ ne peut pas vous protéger si vous ne vous repentez qu’à demi.

— Me détourner du Malin ? Je n’ai rien fait de mal.

— Tous les hommes sont mauvais, dit Quill. L’homme à l’état naturel est l’ennemi de Dieu, c’est ce que Paul a dit. Valez-vous donc mieux que vos semblables ?

— Non, je suis une pécheresse au même titre qu’eux.

— C’est ce que je pensais. Mais, selon votre déposition, ces hommes vous ont appelée par votre nom et vous ont suppliée de les suivre. Pourquoi auraient-ils agi ainsi, sinon parce qu’ils reconnaissaient en vous une consœur sorcière ? »

Purity se sentait étourdie. Comment en était-elle arrivée là ? C’était elle qui portait l’accusation, non ? Et pourtant elle se trouvait sur la sellette à subir les assauts d’un sorceleur. « Monsieur, n’est-ce pas plutôt la preuve que je n’étais pas l’une d’entre eux et qu’ils voulaient me convaincre ?

— Mais vous ne décrivez pas un acte de séduction, fit Quill. Vous ne déclarez pas que le diable se tenait devant vous, son livre ouvert, prêt à y inscrire votre nom dès que vous donneriez votre accord.

— Parce qu’il n’a rien fait de tel.

— Donc il ne s’agissait pas de séduction, et le diable ne vous a pas invitée à l’adorer et le servir. »

Purity se remémora ce qu’elle avait ressenti en présence d’En-Vérité Cooper, le désir qui l’avait submergée à la vue de sa beauté, à l’écoute de son discours clair et intelligent.

« Vous rougissez, dit Quill. Je constate que l’esprit de Dieu vous inspire la honte d’avoir dissimulé certaines informations. Parlez, libérez votre conscience.

— Je n’y ai pas attaché d’importance, dit Purity. Mais, oui, je me suis sentie un instant attirée par un des compagnons d’Alvin, l’avocat du nom d’En-Vérité Cooper. J’ai pris mes sentiments pour ceux qu’une jeune fille de mon âge peut aisément éprouver envers un bel homme exerçant une profession de prestige.

— Mais vous n’éprouviez pas ces sentiments envers un homme exerçant une profession de prestige. Vous les éprouviez envers un homme que vous avez vous-même qualifié de sorcier. À présent le tableau est presque complet : vous êtes tombée sur un sabbat de sorciers où un homme et un enfant nus se livraient à une débauche incestueuse indescriptible au bord du fleuve, un autre sorcier a éveillé en vous un désir sexuel, puis ils vous ont invitée à les suivre dans leur traversée maléfique de la Nouvelle-Angleterre, et en fin de compte vous osez me dire qu’ils n’avaient aucune raison de penser que vous pourriez accepter de les accompagner ?

— Comment saurais-je quelles raisons ils avaient ? »

Quill se pencha sur la table, le visage débordant d’amour et de sympathie pour la jeune femme. « Oh, mademoiselle Purity, il ne faut plus le taire. Vous gardez votre secret depuis longtemps, mais je sais que bien avant de vous rendre à ce sabbat de sorciers vous dissimuliez vos pouvoirs, les pouvoirs que le diable vous a donnés, vous les cachiez à votre entourage mais vous les utilisiez en catimini pour prendre avantage sur votre prochain. »

Des larmes se mirent à couler sur les joues de Purity. Il lui était impossible de les retenir.

« Ne serait-ce pas préférable d’avouer la vérité ? Ne comprenez-vous pas qu’avouer la vérité, c’est une façon de dire non à Satan ?

— Oui, j’ai un talent, reconnut Purity. J’ai toujours deviné ce que ressentent les gens, ce qu’ils vont faire.

— Pouvez-vous dire ce que, moi, je vais faire ? »

Purity scruta le visage de l’homme, fouilla dans son propre cœur. « Monsieur, je ne vous connais pas assez.

— Le diable vous laisse donc vous débrouiller toute seule dans l’adversité. Oh, mademoiselle Purity, le diable est un faux ami. Rejetez-le ! Détournez-vous de lui ! Cessez votre comédie !

— Quelle comédie ? J’ai tout avoué !

— Une fois de plus elle me contredit. Tant que vous me contredisez, l’esprit du diable est en vous, il vous pousse à résister à ceux qui servent Dieu, ne le comprenez-vous pas ?

— Mais je ne vois rien d’autre à confesser.

— Qui vous a informé que le sabbat devait se tenir là-bas, au bord du fleuve, ce jour-là ?

— Personne, répondit Purity. Je vous l’ai dit, je marchais sur le sentier.

— Mais est-ce votre habitude de marcher au bord du fleuve à cette heure de la journée ?

— Non. Non, c’est parce que j’ai lu quelque chose à la bibliothèque qui m’a fait réfléchir.

— Qu’avez-vous lu ?

— Quelque chose sur… la sorcellerie. »

Quill hocha la tête en souriant. « Ah, n’est-ce pas mieux ainsi ? »

Purity se demanda en quoi c’était mieux.

« Vous songiez à votre pacte maléfique avec Satan, et vous vous retrouvez soudain en train de marcher au bord de l’eau. Peut-être avez-vous volé, peut-être avez-vous marché – je ne pense pas que la chose ait une grande importance, mais il est possible que vous ayez volé sans le savoir : la plupart des gens se rendent à un sabbat en volant, souvent sur un balai, mais je veux bien admettre que certains y vont en marchant. Bref, vous vous retrouvez soudain au milieu d’une débauche tellement répugnante qu’elle scandalise une sorcière pourtant aussi endurcie que vous, alors vous voulez à tout prix être lavée de votre noirceur profonde, parce qu’à la vue d’âmes encore plus perdues que la vôtre vous ressentez à nouveau la crainte de Dieu, et vous revenez avec une version des faits. Une version truffée de mensonges et d’omissions, mais la clé s’y trouvait : vous avez prononcé le mot “sorcier” et vous avez donné un nom. C’est le début de la rédemption : désigner le péché et renier le corrupteur. »

Nombre de ces affirmations ne cadraient pas avec ce qu’elle se rappelait des faits, mais en fin de compte elles exprimaient la vérité. Comment n’avait-elle pas compris plus tôt ? On l’avait conduite là-bas, sans doute le diable. Et elle avait éprouvé des émotions à ce point terribles qu’eux-mêmes, là-bas, lui avaient conseillé la prudence si elle ne voulait pas se voir accusée de sorcellerie. Oui, elle était l’une d’entre eux, ils l’avaient reconnue comme telle et, au lieu de les accuser, eux, elle aurait dû s’accuser elle-même. Le début de la rédemption. « Oh, je veux retrouver l’amour de Dieu. M’aiderez-vous, monsieur Quill ? »

Il se pencha et l’embrassa sur la joue. « Mademoiselle Purity, je viens à vous avec le baiser de l’amitié, comme les saints se saluaient aux temps anciens. Tout au fond de vous vit une âme chrétienne. Je vous aiderai à réveiller la chrétienne qui est en vous et à vous fermer au diable. »

À présent en larmes, elle serra les mains de Quill dans les siennes. « Merci, monsieur.

— Alors parlons sérieusement. Dans votre crainte, vous n’avez d’abord dénoncé que des étrangers, des gens de passage. Mais vous êtes sorcière depuis des années, et le moment est venu de me donner les noms des sorciers de Cambridge.

— Des sorciers de Cambridge ? répéta-t-elle bêtement en écho.

— Cette région du Massachusetts n’a pas connu de procès en sorcellerie depuis bien longtemps. La sorcellerie et le sorcellisme sont puissamment enracinés dans le pays, et avec votre repentir nous avons une chance de les extirper.

— Le sorcellisme ?

— Le système de croyances qui entoure la sorcellerie, qui la protège et lui permet de prospérer. Je suis sûr que vous avez entendu ces mensonges. L’affirmation que les talents sont naturels, voire un don de Dieu, mensonge satanique évident destiné à empêcher les gens de se débarrasser de la sorcellerie. Ou que les talents n’existent pas – ce que prétendent bêtement bon nombre de soi-disant érudits –, paravent derrière lequel les convents peuvent en toute sécurité se livrer à leurs méfaits. Il est notoire que, si nombre de sorcellistes ne font que répéter les croyances d’esprits forts de leur entourage, d’autres sont en cachette des sorciers qui feignent de ne pas croire à la sorcellerie alors même qu’ils la pratiquent. Ce sont d’affreux hypocrites qu’il faut démasquer ; pourtant il s’agit souvent des sorcellistes les plus séduisants, les plus passionnants, et ils vous empêchent de reconnaître leur vraie nature. Voyez-vous des gens qui répondent à cette description ?

— Mais je ne peux croire que ce sont des sorciers, dit Purity.

— Ce n’est pas à vous d’en décider, pas vrai ? fit Quill. Donnez-moi leurs noms et laissez-moi les étudier. Si ce sont des sorciers, je finirai par les prendre en défaut. S’ils sont innocents. Dieu les protégera et ils repartiront libres.

— Alors que Dieu vous les désigne.

— Mais ce n’est pas moi qui suis en cause. C’est vous. Voici l’occasion de prouver que votre repentir est sincère. Vous avez dénoncé les étrangers. À présent dénoncez les serpents de votre propre jardin. »

Elle s’imagina livrer des noms. Qui dénoncer ? Emerson ? Le révérend Study ? Elle les aimait et les admirait, ces hommes. Il n’y avait pas de sorcellerie en eux, ni même de sorcellisme.

« Tout ce que je connais en sorcellerie, c’est mon propre talent, dit-elle. Et aussi les hommes que j’ai déjà dénoncés. »

Des larmes apparurent soudain dans les yeux de Quill. « Satan craint maintenant que son royaume dans ce pays soit menacé, alors il vous terrifie et vous interdit de parler.

— Non, monsieur, dit Purity. C’est l’honneur qui m’interdit de donner les noms de gens qui ne sont pas sorciers et n’ont à ma connaissance apporté que du bien au monde.

— Ainsi, c’est vous le juge ? murmura Quill. Vous osez parler d’honneur ? Laissez Dieu les juger ; nommez-les, c’est tout. »

Elle se souvint alors des avertissements du révérend Study. Qu’est-ce qui m’a pris de parler ? En arrive-t-on toujours là ? Pour qu’on me juge innocente, faut-il que j’accuse des gens à tort ?

« Il n’y a pas d’autre sorcier que moi, pour ce que j’en sais, dit-elle.

— Je recherche aussi les sorcellistes, rappelez-vous, fit Quill. Allons, mon enfant, ne retombez pas dans l’étreinte cruelle de Satan pour une question d’honneur mal placé. S’il s’agit de chrétiens, le Christ les prendra en sa sainte sauvegarde. Dans le cas contraire, ne vaudrait-il pas mieux pour eux-mêmes et le monde dans son ensemble les montrer sous leur vrai jour ?

— Vous déformez tout ce que je dis. Vous ferez de même avec eux.

— Je déforme ? Reniez-vous à présent votre aveu de sorcellerie ? »

L’espace d’un instant elle eut envie de répondre oui, mais elle se souvint soudain : les seuls condamnés à la pendaison pour sorcellerie étaient ceux qui avouaient puis se livraient à davantage de sorcellerie… ou rétractaient leurs aveux.

« Non, monsieur, je ne renie pas que je suis une sorcière. Je nie seulement avoir vu quelqu’un de Cambridge pratiquer ce que je pourrais appeler de la sorcellerie ou même… du sorcellisme.

— C’est mauvais signe quand vous me mentez, dit Quill. Il me semble que vous suivez les cours d’un certain Ralph Waldo Emerson.

— Oui, reconnut-elle en hésitant.

— Pourquoi rechignez-vous tellement à me dire la vérité ? Satan vous empêche-t-il d’ouvrir la bouche ? Ou est-ce ainsi que les autres sorciers vous punissent de votre honnêteté, en vous cousant les lèvres dès que vous essayez de parler ? Dites-moi !

— Satan ne m’empêche pas d’ouvrir la bouche, pas plus qu’aucun sorcier.

— Non, je vois la crainte dans vos yeux. Satan vous interdit de donner les noms, et la peur qu’il exerce vous pousse même à nier qu’il vous menace. Mais je sais comment vous tirer de ses griffes.

— Pouvez-vous chasser le démon ? demanda-t-elle.

— Vous seule pouvez chasser le démon qui vous habite, répondit Quill, en dénonçant Satan et ses partisans. Mais je vous aiderai à vous débarrasser de la peur qu’il vous inspire, et j’y installerai à la place la crainte de Dieu par la mortification de la chair. »

Elle comprit alors. « Oh, s’il vous plaît, monsieur, au nom de Dieu, je vous en supplie, ne me torturez pas.

— Dites donc, fit-il avec irritation, nous ne sommes pas l’inquisition espagnole, quand même. Non, on mortifie mieux la chair par l’épuisement que par la douleur. » Il sourit. « Ah, une fois que vous serez libérée, quand vous pourrez faire face à cette communauté de saints et déclarer que vous avez désigné tous les partisans de Satan dans ce pays, quel bonheur vous connaîtrez, comblée de l’amour du Christ ! »

Elle courba la tête au-dessus de la table. « Ô, mon Dieu, pria-t-elle, qu’ai-je fait ? Aidez-moi. Aidez-moi. Aidez-moi. »

 

*

 

Waldo Emerson vit les hommes au fond de la classe. « Nous avons de la visite, dit-il. Y a-t-il certains points de l’enseignement de Thomas d’Aquin que je puisse vous expliquer, braves gens ?

— On est des dizainiers du tribunal en sorcellerie de Cambridge », se présentèrent-ils.

Le cœur de Waldo cessa de battre, du moins il en donna l’impression. « Il n’y a pas de tribunal en sorcellerie à Cambridge, dit-il. Il n’y en a plus depuis un siècle.

— Y a une jeune sorcière qui donne des noms d’autres sorciers, expliqua le dizainier. Le sorceleur, Micah Quill, il nous envoie vous quérir pour un interrogatoire, si c’est vous Ralph Waldo Emerson. »

Les étudiants étaient pétrifiés sur leurs sièges. Tous sauf un qui se leva et interpella les dizainiers. « Si le professeur Emerson est accusé de sorcellerie, alors celle qui l’accuse est une menteuse, fit-il. Cet homme est le contraire d’un sorcier parce qu’il sert Dieu et dit la vérité. »

La réaction de l’élève était courageuse, mais elle forçait aussi la main d’Emerson. Si le professeur ne se livrait pas tout de suite, les dizainiers emmèneraient non pas un mais deux hommes. « Finissez sans moi, dit Waldo à ses étudiants. Rasseyez-vous, monsieur. » Puis il quitta sa tribune pour rejoindre les dizainiers. « Je suis ravi de vous accompagner et de vous aider à dissiper tout malentendu qui aurait pu survenir.

— Oh, c’est pas un malentendu, fit le dizainier. Tout l’monde connaît que vous êtes un sorcelliste. Faut jusse décider si vous l’faites en couillon ou en suppôt d’Satan.

— Comment tout le monde saurait-il que je suis quelque chose dont je n’ai encore jamais entendu parler jusqu’à présent ?

— Ce qui prouve bien, répliqua le dizainier. Les sorcellistes prétendent toujours que l’sorcellisme existe pas. »

Waldo fit face à ses étudiants qui tantôt s’étaient tournés vers lui, tantôt se tenaient debout à côté de leurs chaises. « C’est le mystère d’aujourd’hui, dit-il. Si le fait de nier peut passer pour une preuve de délit, comment un innocent saurait-il se défendre ? »

Les dizainiers lui empoignèrent les bras. « Suivez-nous asteure, monsieur Emerson, et pas la peine d’essayer vot’ philosophie sus nous autres.

— Oh, loin de moi cette idée, fit Waldo. Ce serait peine perdue sur des hommes à la tête solide comme vous.

— Content d’vous l’entendre dire, répliqua le dizainier avec fierté. On voudrait pas être pris pour de mauvais chrétiens. »

 

*

 

On avait mis les fers à Alvin, ce qu’il trouvait excessif. Ce n’était pas inconfortable, remarquez – ce fut un jeu d’enfant pour lui de remodeler le métal afin de l’adapter à ses poignets et ses chevilles, et de pousser la peau à former des cals comme s’il portait ses chaînes depuis des années. Il pratiquait cet exercice depuis si longtemps qu’il le fit presque par réflexe. Mais l’obligation de rester inactif durant les heures où l’on risquait de l’observer le lassa. Il avait déjà enduré pareille épreuve – et sans les fers – pendant les longues semaines passées dans la prison de Hatrack River. La vie était trop courte pour qu’il gâche d’autres heures, à plus forte raison des jours et des semaines, à moisir dans une cellule, alourdi de chaînes, surtout quand il pouvait si facilement se libérer et reprendre sa mission.

Au coucher du soleil, il s’assit par terre, s’adossa à la paroi de bois de la cellule et ferma les yeux. Il envoya sa bestiole sur un chemin familier jusqu’à ce qu’il trouve la double flamme de vie de sa femme et de la fille qu’elle portait en elle. Elle se dirigeait déjà vers son bureau : elle savait par la force de l’habitude que le soleil se couchait plus tôt pour son mari, vu qu’il se trouvait plus à l’est. Elle était toujours aussi impatiente que lui.

Cette fois, aucun visiteur ne vint les interrompre. Elle compatit à ses chaînes et sa cellule mais passa rapidement au sujet qui l’intéressait davantage.

On a volé la bestiole de Calvin, dit-elle. Il l’avait envoyée suivre l’homme qui récupère les noms et quelques bribes des âmes des Noirs qui arrivent sur les quais. Elle lui répéta les derniers mots de Calvin à Balzac avant que toute sa volonté l’ait apparemment déserté. D’abord, il faut que je sache ce qui lui reste d’âme. Ce n’est pas le même cas que les esclaves, on dirait qu’il n’entend rien et il faut le diriger. Ses fonctions physiques sont celles d’un enfant en bas âge ; Balzac et leur logeur sont aussi dégoûtés l’un que l’autre, mais les esclaves le nettoient sans se plaindre. Est-ce réversible ? Pouvons-nous communiquer avec lui pour savoir où il en est ? J’ai fouillé la ville sur toute la péninsule jusqu’au nord et je n’ai trouvé ni regroupement de flammes de vie ni signe de celle de Calvin. Elle me reste invisible ; je prie pour que, toi, tu la voies.

Alvin n’avait pas besoin d’écrire ni de formuler ses réponses. Il savait que Margaret découvrait toutes ses idées dans sa flamme de vie dès qu’elles lui venaient et s’inscrivaient dans sa mémoire. La bestiole enlevée… Il n’avait jamais connu cette crainte. Sa seule angoisse, c’était que quelque chose d’affreux arrive à son corps pendant que son esprit vagabondait. Mais l’expérience lui avait appris que son corps restait actif et vigilant, et au moindre changement dans son environnement – si ses yeux détectaient un mouvement, si ses oreilles captaient un bruit imprévu – son attention réintégrait son enveloppe physique.

Son attention, et par conséquent sa bestiole. Car sa bestiole n’était rien d’autre que son attention pleine et entière. Voilà ce qui faisait défaut à Calvin. Même lorsque des incidents survenaient autour de lui ou affectaient directement sa personne, il était incapable de ramener son attention. Son corps devait sûrement lui lancer des signaux frénétiques pour la réclamer.

Les esclaves, d’un autre côté, n’avaient pas pu céder la leur au dénommé Danemark. Ce qu’ils avaient abandonné, c’était leur rage, leur rancune, leur volonté de retrouver la liberté. Et leur nom.

Une conclusion importante : rien ne permettait de croire que le dénommé Danemark détenait le nom de Calvin. Ce qu’il devait en réalité détenir, c’était un réseau de sortilèges qui conservaient la moitié libre d’âmes coupées en deux. Peut-être même ignorait-il l’intrusion de la bestiole de Calvin. Les sortilèges l’avaient retenue automatiquement, tel un mécanisme de machine. Le réseau servait aussi à dissimuler les âmes qu’il contenait. Calvin ne voyait rien de l’intérieur et restait invisible de l’extérieur.

Mais il y avait moyen de repérer les sortilèges. Margaret ne pouvait pas les trouver puisqu’elle ne voyait que les flammes de vie, et celui qui savait lui cacher des flammes de vie pouvait certainement cacher la sienne aussi afin de l’empêcher de découvrir l’homme au courant du secret.

Se cache-t-il de moi ? écrivit-elle.

Il ignore que tu existes. Il se cache de tout le monde.

Comment Calvin a-t-il pu se faire prendre ? Il n’a pas noué de petits objets comme les esclaves.

Je ne connais rien au fonctionnement des pouvoirs des Noirs, mais je sens que chaque esclave a mis son nom, toutes ses peurs et toute sa haine dans les nœuds qu’il confectionnait. Il fallait qu’ils confectionnent des nœuds pour détacher de leur corps une partie de leur âme. Calvin n’avait pas besoin d’un tel artifice, lui.

Ils avaient besoin de Faire ? écrivit-elle.

Oui, pensa-t-il, exactement. Faire. Qu’il s’agisse du pouvoir des Blancs, des Rouges ou des Noirs, on en revient toujours au même : il faut se connecter au monde environnant en Faisant. Les Rouges établissent le lien directement – c’est leur manière de Faire, cette relation qu’ils forgent entre homme et animal, homme et végétal, homme et minéral. Les Noirs façonnent des objets dont le seul but est le pouvoir – poupées et cordes nouées. Quant aux Blancs, ils passent leur vie à fabriquer des outils qui martèlent, taillent, déchirent à même la nature, et c’est seulement dans la sphère qu’ils appellent leur talent qu’ils établissent véritablement ce lien. Ils n’ont pas prononcé le divorce définitif d’avec le monde naturel. Mais Alvin imaginait ces hommes et ces femmes qui ne ressentaient jamais cette relation profonde, innée, ne voyaient jamais le monde changer sous la simple action de leur volonté en harmonie avec leur environnement. Ils vivent dans la solitude, incapables de façonner le fer autrement qu’avec le marteau et l’enclume, le feu et les pincettes. De faire du feu autrement qu’en frappant du silex sur de l’acier. De voir l’avenir autrement qu’en vivant au jour le jour et en le regardant dérouler un seul chemin à la fois. De voir le passé autrement qu’en lisant ce que d’autres en ont écrit, ou en entendant leurs histoires et en imaginant le reste. Ces gens-là savent-ils seulement que la nature est aussi vivante et sensible ? Que des pouvoirs magiques sont à l’œuvre dans le monde – non, mieux, à l’œuvre sur le monde, qu’ils sont le monde, sa source ? Ce serait horrible de connaître l’existence de ces pouvoirs sans avoir aucun moyen d’en profiter. Seuls les plus braves et les plus sages pourraient le supporter. Les autres n’auraient plus qu’à les nier, à soutenir qu’ils n’existent pas.

Il comprit soudain : voilà ce que sont justement les lois sur la sorcellerie. Une démarche pour isoler les pouvoirs magiques et les chasser de la vie des hommes.

Au moins, les lois sur la sorcellerie admettent l’existence des pouvoirs magiques, écrivit Margaret.

Alvin saisit alors toute la portée de l’idée d’En-Vérité. La disparition des lois sur la sorcellerie serait la bienvenue, mais à condition qu’elle serve à reconnaître publiquement le caractère bénéfique ou maléfique des talents seulement en fonction de l’usage qu’on en faisait.

La stratégie d’En-Vérité, c’est de rendre ridicule la notion même de sorcellerie.

Eh bien quoi, elle est déjà ridicule, songea Alvin. Toutes les images du diable dont il avait entendu parler étaient puériles. La création de Dieu, c’était sa façon à Lui de Faire, mais à une grande échelle ; sa création vivait toute seule et incluait de simples mortels dont il tâchait de faire des amis et des compagnons Faiseurs. L’ennemi n’était pas une quelconque créature pathétique qui donnait à certains individus isolés le pouvoir de jeter des sorts et d’apporter le malheur. L’ennemi du Faire, c’était le Défaire, et le Défaiseur portait mille masques différents suivant les besoins de la personne qu’il tentait d’abuser.

Je me demande quelle forme prend le Défaiseur pour amener ce sorceleur.

Certains hommes n’ont pas besoin de duperie pour le servir, écrivit Margaret. Ils aiment déjà son œuvre destructrice et s’y lancent de leur propre chef.

Est-ce que tu parles de ce Quill ? Ou de Calvin ?

Il ne fait pas de doute qu’ils croient tous deux servir la cause des Faiseurs.

C’est vrai, Margaret ? N’est-ce pas toi qui m’as dit qu’on a beau se raconter des mensonges, on sait dans son cœur ce qu’on est vraiment ?

Chez certains la vérité se cache si profond qu’ils ne la revoient qu’à la dernière extrémité. Ils s’aperçoivent alors qu’ils la savent depuis le début. Mais ils la voient seulement quand il est trop tard, ils ne peuvent plus la saisir ni s’en servir pour se sauver. Ils la voient et sombrent dans le désespoir. C’est le feu de l’enfer.

Tous les hommes s’abusent eux-mêmes. Sommes-nous tous damnés ?

Ils ne peuvent pas se sauver tout seuls, écrivit-elle. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas les sauver.

Alvin trouva la réponse rassurante parce qu’il craignait ses propres secrets, craignait cette part d’ombre en lui où il avait caché ses raisons personnelles lorsqu’il avait tué le pisteur assassin de la mère de Margaret. Peut-être pourrai-je un jour ouvrir cette porte et affronter la vérité, sachant que j’ai quand même une chance de survivre à cette pointe dure et acérée quand elle me transpercera le cœur.

Le besoin de rédemption de Calvin est pour l’instant plus urgent que le tien.

Je suis étonné que tu veuilles le sauver. Tu m’as dit qu’il ne changerait jamais.

Je t’ai dit que je ne vois de changement dans aucun de ses avenirs.

Je vais le chercher. Je vais chercher les sortilèges qui le cachent. J’arrive à voir ce qui est invisible pour toi. Mais… et Danemark ? Tu ne peux pas le retrouver quand il marche dans la rue et apprendre la vérité ?

Lui aussi est protégé. Je peux le retrouver dans la rue, et son nom est toujours en lui, il ne s’est donc pas séparé de cette partie de sa flamme de vie. Mais il ne sait rien, il ne garde aucun souvenir du lieu où il emmène les objets ni à qui il les donne. Il y a des vides dans sa mémoire. Dès qu’il quitte les quais avec son panier d’âmes, il ne se rappelle rien jusqu’à son réveil. Je pourrais le suivre, avec les yeux plutôt qu’avec une bestiole…

Non ! Non, ne t’approche pas de lui ! On ne connaît rien des pouvoirs derrière tout ça. Reste à l’écart et arrête de chercher. Qui sait quelle partie de toi aussi se sépare de ton corps quand tu joues à la torche ? Si tu te retrouves prisonnière à ton tour, je ne pourrai pas le supporter.

Nous sommes tous prisonniers, non ? Même le bébé dans mon ventre.

Elle n’est pas prisonnière, elle. Elle est chez elle, là où elle a le plus envie de rester.

Elle sait qu’elle n’a pas le choix.

Le moment venu, elle goûtera le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Pour l’instant, elle est au jardin d’Éden. Tu es le paradis. Tu es l’arbre de la vie.

Tu es adorable, écrivit-elle. Je t’aime. Je t’aime.

Son propre amour pour elle le submergea, lui emplit les yeux de larmes et le cœur du désir de la rejoindre. Il la vit reposer la plume. Aucun autre mot ne s’inscrirait sur le papier ce soir.

Il s’étendit et envoya sa bestiole. Il trouva facilement Purity. Éveillée dans sa cellule, elle priait et pleurait. Il retint la pensée méchante qu’elle lui devait bien au moins une nuit blanche. Mais il préféra entrer en elle et trouver la source des sécrétions qui accéléraient les battements de son cœur et emballaient ses pensées. Il la regarda se calmer puis ralluma les feux du sommeil qui couvaient dans son cerveau. Elle se traîna jusque dans son lit. Elle s’endormit. Pauvre petite, songea-t-il. C’est horrible de ne pas savoir à quoi sert sa vie. Et triste de découvrir qu’elle a un but aussi destructeur.

 

*

 

En-Vérité Cooper laissa Arthur Stuart, Mike Fink et John James Audubon dans une petite clairière au milieu d’un bouquet d’arbres loin au nord du fleuve et à bonne distance de la ferme la plus proche. Arthur faisait prendre la pose à un oiseau sur une branche – Audubon discourait sur le volatile, mais ses propos entraient par une oreille d’En-Vérité et ressortaient par l’autre. C’était une entreprise audacieuse dans laquelle il allait se lancer. Il n’avait jamais essayé de défendre un homme qu’il savait d’avance coupable. Et Alvin, d’après la loi de la Nouvelle-Angleterre, était bel et bien coupable. Il avait un talent ; il s’en servait.

Mais En-Vérité se disait qu’il connaissait le déroulement des procès. Il avait lu des ouvrages sur la question dans la bibliothèque de droit de son mentor – discrètement, afin que nul ne se demande pourquoi il s’intéressait à un sujet aussi obscur. Procès après procès, en Angleterre, France et Allemagne, on déballait le même lot d’ingrédients traditionnels : malédictions, sorcières sous la forme d’incubes et de succubes, et tout le folklore délirant des sabbats et des pouvoirs donnés par le diable. Les sorceleurs soutenaient que la similitude des détails prouvait la réalité et la diffusion du phénomène de la sorcellerie.

D’ailleurs, un de leurs stratagèmes favoris consistait à faire peur au jury avec des déclarations du genre : « Si la présente affaire s’est produite sous votre nez, dans votre village, imaginez un peu ce qui se produit dans le village voisin, dans le comté, dans toute l’Angleterre, dans le monde entier ! » Ils citaient à tout propos des « sommités » qui estimaient, au vu du grand nombre de sorciers et sorcières réellement jugés, qu’il devait bien en exister dix mille, cent mille voire un million d’autres.

« Soupçonnez tout le monde, disaient-ils. Il y a tant de sorciers qu’il est impossible que vous n’en connaissiez pas un. » Et l’argument décisif : « Si vous négligez les petits signes révélateurs de sorcellerie, vous permettez à Satan d’œuvrer librement dans le monde et vous en portez la responsabilité. »

Le raisonnement aurait pu se tenir sans un détail tout bête : En-Vérité possédait lui-même un talent, et il savait qu’il n’avait jamais eu de contact avec Satan, n’avait jamais assisté à un sabbat ni quitté son corps pour se promener en tant qu’incube, ravir des femmes et leur inspirer d’étranges rêves d’amour. Il n’avait rien fait d’autre que fabriquer des tonneaux si étanches que le bois devait pourrir avant que les joints ne commencent à fuir. Sous ses mains le bois mort revivait et reprenait de la vigueur, c’était là son seul pouvoir. Et il n’avait jamais usé de son talent pour nuire d’une façon ou d’une autre à ses semblables. Donc toutes ces histoires étaient forcément des mensonges. Et l’estimation du nombre de sorciers encore en liberté, un mensonge fondé sur un mensonge.

En-Vérité croyait ce que croyait Alvin : chaque être possède à la naissance une relation avec les pouvoirs de l’univers – peut-être avec les pouvoirs de Dieu, mais plus vraisemblablement avec les forces de la nature ; elle se manifeste sous forme de talents chez les Européens, de liens avec la nature chez les Rouges, et sous d’autres formes étranges chez les autres races. Ces pouvoirs, Dieu veut qu’on les consacre au bien ; Satan au mal, évidemment. Mais la simple possession d’un talent reste moralement neutre.

L’occasion s’offrait non seulement de sauver Purity d’elle-même, mais aussi de discréditer tout le système des procès en sorcellerie et des lois qui les permettaient. De montrer l’imposture évidente, scandaleuse, ridicule de la législation et des témoins, afin que nul ne passe jamais plus en jugement pour le crime de sorcellerie.

Cela dit, il risquait d’échouer, et Alvin devrait se sortir tout seul de prison, sortir du même coup Purity, que ça lui plaise ou non, et ils fileraient à toute vitesse hors de Nouvelle-Angleterre.

Cambridge était une ville modèle de Nouvelle-Angleterre. L’université dominait – plusieurs bâtiments étaient impressionnants – mais il y avait tout de même un terrain municipal en face du palais de justice où Alvin avait presque certainement sa cellule. Et, à la grande satisfaction d’En-Vérité, le sorceleur et les dizainiers faisaient courir Alvin et Purity en même temps. Une foule entourait le terrain – mais à distance prudente – tandis qu’Alvin était obligé de courir en cercles étroits à un bout du pré, Purity à l’autre.

« Ils courent depuis longtemps ? demanda En-Vérité à un badaud.

— Depuis avant la piquette du jour sans s’reposer, répondit l’homme. Des coriaces, ces sorciers-là, c’est moi qui vous l’dis. »

En-Vérité hocha judicieusement la tête. « Vous savez donc déjà qu’ils sont tous deux des sorciers ?

— R’gardez-les ! fit le badaud. Vous croyez qu’ils auraient la force d’galoper aussi longtemps sans tomber si c’en étaient pas ?

— Ils m’ont l’air bien fatigués, dit En-Vérité.

— Ouaip, mais ça court toujours. Et la fille, c’est une orpheline amenée chez nous autres, alors c’est probab’ qu’elle avait ça dans l’sang, n’importe comment. Personne l’a jamais aimée. On connaissait qu’elle était bizarre.

— Il paraît qu’elle est le principal témoin contre l’homme.

— Ouaip, mais comment qu’elle est au courant du sabbat si elle y est pas allée elle-même, dites-moi ?

— Alors, pourquoi s’embêter à la faire galoper ? Pourquoi ne pas la pendre directement ? »

L’homme regarda En-Vérité avec intérêt. « Vous cherchez à causer du tracas, étranger ?

— Pas moi, fit l’avocat. Je crois qu’ils sont aussi innocents que vous, monsieur. En plus, je crois que vous le savez et, si vous les traitez de coupables, c’est uniquement pour qu’on ne devine pas votre propre talent que vous tenez bien caché. »

Les yeux de l’homme s’écarquillèrent de terreur et, sans un mot, il se fondit dans la foule.

En-Vérité hocha la tête. C’était une accusation qu’on pouvait porter sans grand risque, si Alvin ne se trompait pas, et tout le monde possédait un quelconque pouvoir occulte. Tout le monde avait quelque chose à cacher. Tout le monde redoutait les dénonciateurs. Il était donc agréable aux badauds de voir cette dénonciatrice accusée en même temps que l’homme qu’elle avait dénoncé. Qu’on la pende avant qu’elle n’en dénonce d’autres. En-Vérité devait compter sur cette peur et l’amplifier.

Il s’avança à grands pas sur le terrain. Aussitôt un murmure monta : qui était cet étranger, et comment osait-il s’approcher autant du sorceleur qui faisait courir les sorciers afin de les épuiser et de leur soutirer des aveux complets ?

« Vous, monsieur, lança En-Vérité d’une voix forte au sorceleur pour que tout le monde l’entende. Où est le fonctionnaire de police qui dirige cet interrogatoire ?

— C’est moi le fonctionnaire », répondit le sorceleur d’une voix tout aussi forte – on élève d’ordinaire sa voix au niveau de celui qui parle le plus fort, découvrit En-Vérité.

« Vous n’êtes pas de cette ville, attaqua En-Vérité. Où sont les dizainiers ? »

Aussitôt, la douzaine d’hommes qui avaient formé des cercles attentifs autour d’Alvin et de Purity se retournèrent, certains la main levée.

« N’êtes-vous pas chargés de faire respecter la loi ? demanda En-Vérité. L’interrogatoire de témoins dans des procès de sorciers doit avoir lieu sous la responsabilité d’agents de la cour, dûment appointés par le juge ou le magistrat, pour empêcher justement ce genre de torture de se produire ! »

Le mot « torture » visait à cingler comme un coup de fouet, et il porta. « Ce n’est pas de la torture ! s’écria le sorceleur. Où est le chevalet ? Le feu ? L’eau ? »

En-Vérité se tourna de nouveau vers lui mais recula en parlant encore plus fort. « Je constate qu’aucun moyen de torture ne vous est étranger, et faire courir ces gens est un des plus cruels ! Les suppliciés à bout de forces sont prêts à avouer n’importe quoi, jusqu’au… suicide s’ils y gagnent la fin de leurs tourments et le repos ! »

Il fallut un moment à la foule présente pour comprendre l’impossibilité d’un aveu de suicide, mais un gloussement général récompensa l’avocat. Il fallait mettre la foule dans sa manche ; tous ceux qui se retrouveraient dans le jury sauraient ce qui s’était dit aujourd’hui.

Comme les dizainiers regardaient ailleurs, Alvin et Purity s’étaient mis à tituber et s’étaient écroulés à genoux. À présent tous deux à quatre pattes dans l’herbe, ils haletaient, la tête pendante comme des chevaux fourbus.

« Empêchez-les de se reposer ! brailla follement le sorceleur. L’interrogatoire va prendre des heures de retard ! »

Les dizainiers contemplèrent les triques et les cravaches qui leur servaient à stimuler les coureurs, mais aucun ne se dirigea vers les deux victimes.

« Enfin vous vous rappelez votre devoir, dit En-Vérité.

— Vous n’avez aucune autorité ici ! cria le sorceleur. Et moi je suis un représentant de la cour !

— Alors donnez-moi le nom du magistrat d’ici, à Cambridge, qui vous a désigné. »

Le sorceleur se savait pris en flagrant délit d’abus de pouvoir, puisqu’il n’en avait aucun jusqu’à ce que le juge local réclame ses services, aussi ne répondit-il pas directement au défi d’En-Vérité. « Et vous, qui êtes-vous ? demanda-t-il. D’après votre façon de parler, vous venez d’Angleterre – quelle est votre autorité à vous ?

— Celle d’exiger qu’on vous jette aux fers vous-même si vous soumettez ces deux êtres à la torture une minute de plus ! » s’écria En-Vérité. Il sentait la foule fascinée observer l’affrontement. « Parce que je suis l’avocat d’Alvin Smith, et vous, monsieur, en torturant mon client sans autorisation, vous avez enfreint la loi sur la protection de 1694 ! »

Il brandit un doigt accusateur et le sorceleur se décomposa sous l’attaque.

En-Vérité commençait tout de même à s’impatienter, car son idée n’était pas de remporter une victoire mineure ici, sur le terrain municipal. Purity était-elle si épuisée qu’elle ne pouvait pas lever la tête et voir qui parlait ?

Il était sur le point de se lancer dans une nouvelle tirade dont il profiterait pour se rapprocher de la jeune fille et la relever face à lui si nécessaire, mais il n’eut pas besoin de mettre son projet à exécution parce qu’elle le reconnut enfin.

« C’est lui ! », s’exclama-t-elle.

Le sorceleur entrevit le salut. « Qui ? C’est qui ?

— L’avocat anglais qui accompagne Alvin Smith ! C’est un sorcier lui aussi ! Il a un talent avec le bois !

— Il se trouvait donc aussi au sabbat ! s’écria le sorceleur. Évidemment, Satan cite la loi dans l’espoir de sauver ses suppôts ! Arrêtez cet homme ! »

En-Vérité se tourna aussitôt vers la foule. « Voyez ce qui se passe ! Tous ceux qui voudront représenter mon client seront accusés de sorcellerie ! Ils seront tous jetés en prison et jugés au péril de leur vie !

— Faites-le taire ! hurla le sorceleur. Faites-le courir avec les autres ! »

Les dizainiers avaient à contrecœur saisi En-Vérité par les coudes parce qu’on l’avait inculpé, mais ils n’avaient aucune intention de relancer l’épreuve, maintenant qu’on l’avait qualifiée de torture et déclarée illégale. « Fini pour aujourd’hui, la course, monsieur, dit l’un d’eux. On préfère entendre le juge avant d’vous laisser recommencer des affaires de même. »

Alors que deux dizainiers l’aidaient à gagner d’une démarche chancelante le palais de justice, Purity geignit en passant à proximité d’En-Vérité. « Ne m’approchez pas de lui, supplia-t-elle. Il me jette des sorts. Il veut venir à moi sous forme d’incube !

— Purity, ma pauvre petite, fit En-Vérité. Écoutez-vous débiter les mensonges que ce sorceleur vous a appris à répéter.

— Ne lui dites plus un mot ! brailla le sorceleur. Vous l’entendez lui jeter des sorts ? »

Aux dizainiers, En-Vérité murmura avec une ironie désabusée : « Vous avez trouvé que ça ressemblait à un sort, vous ?

— Arrêtez de chuchoter ! Tenez-vous tranquille ! » s’égosilla le sorceleur.

En-Vérité lui répondit à haute voix.

« J’ai seulement dit qu’aux yeux de qui tient un marteau tout ressemble à un clou ! »

Certains badauds comprirent tout de suite et ricanèrent. Mais le sorceleur était imperméable à la raillerie. « Des paroles sataniques ! Des marteaux et des clous ! De quoi m’avez-vous maudit ? Avouez ce que vous voulez dire, monsieur !

— Je veux dire ceci, monsieur : à qui profite les procès en sorcellerie, chaque mot sonne comme une malédiction !

— Débarrassez-moi de cet individu avec ses insinuations et ses mensonges obscènes ! »

Les dizainiers l’entraînèrent avec Alvin dans le palais de justice, jusqu’à des cellules éloignées l’une de l’autre, mais les deux amis se retrouvèrent à plusieurs reprises assez proches pour échanger des regards sans un mot et En-Vérité s’arrangea pour qu’Alvin lui voie la figure fendue d’un sourire jusqu’aux deux oreilles. Tout marche exactement comme je le veux, disait cette figure.

Mais, seul dans sa cellule, En-Vérité perdit son sourire. Pauvre Purity, songeait-il. Jusqu’où ce sorceleur lui a-t-il entortillé l’esprit ? Son honnêteté est-elle à ce point altérée qu’elle n’arrive plus à se rendre compte qu’on la manipule ? À un moment ou un autre, il lui faudrait comprendre que le sorceleur se sert d’elle.

Vaudrait mieux que ça ne tarde pas, se dit-il. Je ne tiens pas à ce qu’Alvin moisisse longtemps dans cette prison.

 

*

 

Hezekiah Study avait déjà préparé son bagage pour un séjour prolongé chez sa nièce à Providence lorsqu’il entendit les cris sur le terrain municipal et se pencha à la fenêtre pour écouter. Il regarda l’avocat anglais mettre Micah Quill dans l’embarras, à ce point manipuler le maître manipulateur qu’il eut envie d’applaudir. Son cœur se serra lorsque Purity dénonça l’avocat – elle avait effectivement mentionné dès le début un avocat dans le groupe d’Alvin Smith – mais l’Anglais réussit quand même à semer la graine du doute dans l’esprit des spectateurs. C’était la première fois qu’Hezekiah Study assistait aux premières phases d’un procès en sorcellerie sans peur ni désespoir au ventre. Car l’avocat anglais souriait comme un écolier qui ne craint pas la punition : envoyer un caillou dans la fenêtre du professeur vaut largement cela.

Il maîtrise la situation, se dit Hezekiah.

Son bon sens, ou plutôt son amère expérience, répondit : Personne ne maîtrise jamais un procès en sorcellerie sinon les sorceleurs. Pour l’instant l’homme sourit, mais à la fin il ne sourira plus, quand on le privera de sa dignité ou qu’on lui passera la corde au cou.

Oh, mon Dieu, qu’aujourd’hui soit enfin le jour où les gens comprennent que les seuls serviteurs du diable à ces procès sont les sorceleurs !

Une fois cette prière formulée, il se détacha de la fenêtre et défit son bagage. Quoi qu’il advienne, ce procès allait réclamer du courage, et Hezekiah Study se devait de rester. Non seulement pour voir la suite des événements, mais parce que ce jeune avocat ne se battrait pas seul. Hezekiah Study l’épaulerait. Il lui restait malgré tout cet espoir et ce courage.

Flammes de vie
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